Un court éloge de Tony Atkinson
J’avais
sur ma table le livre de Frank Cowell Measuring
Inequality pour préparer mon cours de Master sur l’économétrie des mesures
d’inégalité. L’auteur le plus cité y était Tony Atkinson, et cela n’a rien de
surprenant. Tony Atkinson a publié en 1970 dans le Journal of Economic Theory, un article fondateur sur la mesure des
inégalités, donnant à la fois un cadre théorique à la mesure des inégalités de revenus, et un
formalisme mathématique fructueux qui fut à l’origine de maints apports
économétriques ultérieurs. Je pense notamment aux tests de dominance
stochastique, fruit du travail de plusieurs membres du GREQAM.
Il est utile de revenir sur
la richesse de ce papier fondateur. Tony Atkinson y établit un parallèle entre la
comparaison des distributions de revenus et la théorie de la décision dans
l’incertain. Pour classer deux distributions de probabilités caractérisant par
exemple deux portefeuilles de titres, l’aversion au risque joue un rôle
fondamental. Pour classer deux distributions de revenus, l’aversion au risque cède
sa place à l’aversion à l’inégalité dans la construction de la fonction de
bien-être tandis que l’outil de la dominance stochastique reste le même.
La fonction de bien-être
permet de synthétiser en un chiffre une distribution de revenu d’un pays et
ensuite de mesurer quel serait le revenu nécessaire pour fournir le même niveau
de bien-être si chacun recevait le même montant de revenu. L’inégalité est
ainsi mesurée par l’indice dit d’Atkinson. Quand cet indice vaut par exemple
0.30, cela veut dire que seulement 70%
du revenu actuel serait nécessaire pour produire le même niveau de bien-être
si ce revenu était distribué de manière totalement égalitaire. Il faut bien
mesurer ce qu’il y a de subversif dans cette approche, par les temps qui
courent. Elle contribue à justifier sur un plan théorique la taxation progressive
et la redistribution.
On peut dire que cet
article initial a servi de fil conducteur au reste de l’œuvre de Tony Atkinson.
Je retiendrais parmi ses travaux deux articles majeurs :
-
celui de 1976 coécrit
avec Joseph Stiglitz et publié dans le Journal
of Public Economics où ils montrent la supériorité de la taxation directe
par rapport aux taxes indirectes et où comment la fonction de bien-être permet
de résoudre le dilemme efficacité-équité.
-
Celui de 1987
publié dans Econometrica et portant
sur les mesures de pauvreté que l’on peut unifier en les plongeant dans le
cadre de la dominance stochastique et dont peut mesurer les orientations différentes
en les situant ra rapport à une fonction de bien-être.
Tony Atkinson conclut ce
dernier article par ces mots :
« What was needed was a
greater degree of vertical integration between the statistical measurement of
poverty on the one hand and welfare economics on the other. »
Tony
Atkinson a mis en pratique cette recommandation en effectuant toute une
série
de travaux relavant de l’économétrie empirique.
Armé de ses outils théoriques il
s’est attaqué à l’analyse des
phénomènes de pauvreté et
d’inégalité en Grande
Bretagne et en Europe. Dans l’ouvrage remarqué Poverty in Europe (1998), il a analysé les phénomènes de pauvreté
en Europe et préconisé la mise en place d’un revenu minimum au niveau Européen.
Plus récemment dans The Changing
Distribution of Earnings in OECD Countries (2008), il analyse la formation des salaires dans les principaux
pays de l’OCDE. En construisant de nouvelles données, il montre comment la
formation des hauts salaires ne peut s’expliquer par les théoriques classiques
(progrès technique biaisé, mondialisation), mais répond à des mécanismes
spécifiques ayant trait entre autres à la théorie des organisations.
En
proposant Tony Atkinson au titre de Docteur Honoris Causa de l’Université de
Je
terminerai cet éloge introductif en soulignant les rapports que Tony Atkinson a
entretenu avec le monde étudiant. Il a dirigé un multitude de thèses, ayant à
cœur de transmettre son savoir . Hier encore, il donnait à la faculté des
Sciences Economiques une conférence sur le thème Crises financières et Inégalité. La salle était remplie
d’étudiants, assis sur même sur les marches. Tony Atkinson a eu du mal à
quitter la salle à cause du nombre d’étudiants restés pour lui poser des
questions.
Michel Lubrano